Rencontre avec Anne-Françoise Cabanis

Anne Françoise Cabanis est l’une des personnalités majeures du mouvement de création dédiée à la petite enfance. A l’initiative du Festival Ricochets en 1992, elle a passé commande à de nombreux artistes qui ont ainsi découvert la force et l’intérêt du travail en direction des tout-petits. Elle retrace l’histoire du mouvement en France et présente son nouveau projet, à visée européenne.

Vous avez largement participé à impulser la création pour les tout-petits en France….

Oui, et c’est d’ailleurs principalement de la France que le mouvement qui intéresse aujourd’hui l’Europe est parti. Les premiers spectacles se sont inscrits dans un courant plus large bien représenté par l’émission télévisée de Daniel Martineau, « Le bébé est une personne ». C’était une émission de vulgarisation passionnante des années 1985 sur les recherches autour du nouveau né. La toute première création pour les bébés de 0 à 3 ans, on la doit à l’auteur et metteur en scène Joëlle Rouland. Elle s’intitulait « L’oiseau Serein », et fut présenté en 1987 à la Scène Nationale de la Ferme du Buisson. C’est la première fois qu’on pouvait vérifier que le petit enfant est un spectateur à part entière. Joëlle a crée deux autres spectacles qui ont tous beaucoup tourné, mais les gens n’ont pas tous accueilli positivement l’initiative. Nombre de programmateurs ou de parents nous riaient au nez. Il y a même eu tout un vent de cabales contre le projet car la possibilité de ces spectacles soulevait mille questions. C’est en octobre 1992, avec le soutien du gouvernement de Jack Lang que nous avons crée « Ricochets », le premier festival pour tout-petits à la Ferme Du Buisson. A l’époque, on manquait sérieusement de projet. Tout restait à inventer. On a donc passé commande à de nombreux artistes comme Agnès Desfosses, Laurent Dupont, Brigitte Lallier-Maisonneuve…Je connaissais leur parcours, leur travail et je pressentais que leur sensibilité s’accorderait bien avec celle des tout-petits. Dans les années qui ont suivi, le mouvement n’a cessé de s’amplifier, et d’autres ont pris le relais comme Joël Simon dans le cadre de son festival « Méli’môme » à Reims, ou le Théâtre Athénor à Saint-Nazaire.

Pensez-vous que le spectacle pour les tout-petits est arrivé aujourd’hui à maturité ?

Dans un certain sens, oui. Un nombre incroyable d’artistes se sont intéressés à ce type de création et les propositions de spectacles se sont multipliées. Mais un véritable marché s’est ouvert, ce qui ne va pas sans poser de problèmes. Beaucoup de gens se sont engouffrés là pour proposer des spectacles très médiocres mais pas trop chers. Sans volonté politique réelle, c’est économiquement très difficile de faire vivre un travail exigeant pour la petite enfance. Entre deux spectacles qu ‘elle ne connaît pas, une directrice de crèche choisira spontanément le moins cher si elle n’a pas été sensibilisée au fait qu’il existe une offre de qualité et que le choix d’une telle offre n’a rien d’anecdotique. Il faut que les professionnels de la petite enfance comme les parents saisissent les enjeux de ce mouvement. Si on présente à la crèche un spectacle lénifiant qui ne bouleverse rien, ni personne dans la crèche, qui ne fait pas contradiction, ça n’a aucun intérêt. Le théâtre n’a rien d’obligatoire. C’est intéressant d’y confronter les enfants s’il est vraiment question de défendre une proposition artistique forte.

Vous préparez actuellement un projet aux dimensions européennes…

« Glitterbird» : c’est le titre de ce projet assez lourd qui s’étale sur trois ans et qui doit déboucher sur un grand festival de la création européenne pour les tout petits en 2006. Le projet réunit principalement des programmateurs et des compagnies de Finlande, du Danemark, de Norvège, de Hongrie, d’Italie et de France, et c’est l’occasion de partager nos conceptions de la petite enfance qui varient beaucoup d’un pays à l’autre. En Hongrie par exemple, ils sont encore très marqués par l’ancien esprit du régime communiste : un spectacle reste nécessairement à visée éducative et pédagogique, et l’idée du théâtre pour les tout-petits ne les avait même pas effleuré. Notre objectif, c’est de développer un réseau, de mieux se connaître artistiquement pour faire laboratoire. Ce projet européen va également permettre de lancer des appels à candidature et de passer commande. En France, j’ai prévu entre autre de travailler avec l’auteur Françoise Gerbaulet qui a écrit son texte en résidence à la Chartreuse. Je trouve important de donner une vraie place à la parole dans le théâtre, d’affiner les recherches sur la langue et de ne pas se contenter des effets visuels ou musicaux. J’aimerai beaucoup que ce festival 2006 se produise à Paris, mais il faut convaincre la Ville…

Glitterbird : Art for children under three years : www.glitterbird.com