Rencontre avec Gert ENGEL et Silvia BRENDENAL. Des « enthousiasmeurs » venus d’Allemagne.

Gert Engel est tourneur mais il aime à dire qu’il est « enthousiasmeur pour des spectacles de qualité ». Il fait surtout appel aux compagnies étrangères et déplore le manque de créativité concernant les spectacles destinés aux tout-petits dans son pays. Il fait connaître chez lui le travail né en Belgique, en France en l’Italie, observe les nouvelles idées et les tendances comme les spectacles pluri artistiques qui sont devenus courants en France. « Chez nous c’est très très marginal de mélanger les disciplines ». Son but : faire comprendre que les spectacles pour la petite enfance peuvent relever d’une véritable création artistique.

Silvia Brendenal est directrice artistique à Berlin du Schaubüde, théâtre de la marionnette et de l’objet. Il y a cinq ans, elle décide de monter le premier festival pour les tout-petits en Allemagne, avec la collaboration de Gert Engel. La programmation de ce festival était presque essentiellement étrangère, avec des spectacles comme Sous la table et Gribouillie, ou la participation de compagnie comme Skappa et le Tam Teatromusica.

Pour Gert Engel, tout a démarré dans les années 90 à Saint Nazaire, avec le festival « Résonance ». Là, il découvre pour la première fois cette force de communion, cette complicité si particulière qu’entretiennent les artistes et les enfants pendant le temps de la représentation : « Je n’avais jamais vu cela, il n’y avait à l’époque rien de comparable à ce mouvement là en Allemagne ». L’intérêt de Silvia pour le théâtre des tout-petits est né aussi lors d’une représentation. Elle a été profondément marquée par la puissance des sentiments exprimés par les enfants qui, si jeunes ne connaissent pas la pudeur. Elle a été touchée par la pureté et l’authenticité des émotions qu’ils expriment et impressionnée par leur connaissance intuitive de thèmes difficiles comme celui de la mort.

Gert comme Sylvia regrettent l’immobilisme de Berlin : « Pour la petite enfance, il n’y a presque rien et nous avons peu d’argent pour inviter les compagnies étrangères. La création pour la petite enfance est chez nous peu intéressante. Pourtant depuis 5 ans il y a de plus en plus de tout-petits dans les spectacles destinés au jeune public tant la demande est grande. C’est une situation difficile pour les artistes ».
Un phénomène permet d’expliquer cela, d’après Sylvia : « en Allemagne contrairement à la France, les adultes et les enfants ne font pas partie du même monde ». Et Gert d’enchérir : « L’enfant est à part en Allemagne, il ne faut pas y toucher. En France il y a des crèches. En Italie, les crèches émettent des demandes auxquelles les théâtres répondent. Chez nous, il y a des demandes des écoles primaires et maternelles mais la petite enfance est quelque chose qui reste à part. Ce n’est pas comme chez vous où l’enfant fait, dès le début de sa vie, partie de la société. Pour que la situation du théâtre destiné à la petite enfance avance, il faut que la place de l’enfant dans la société évolue. A partir du moment où il n’existe pas de structure officielle dédiée à la petite enfance, rien ne peut progresser ».

« A la fin du festival que nous avions organisé, précise Sylvia, on a senti une réelle envie de bouger les choses, mais il n’y pas eu de suite et nous restons le seul festival spécifiquement consacré à la petite enfance. ».

Gert insiste sur le poids de la tradition dans l’approche même de la création pour les tout-petits : « En France, il y a une vraie recherche avant la création. En Allemagne, les adultes décident mais ne se posent pas la question de ce que signifie pour eux-mêmes la petite enfance. Leurs spectacles deviennent tout de suite pédagogiques. Chez nous le théâtre pour la petite enfance est toujours un théâtre d’initiation pour le grand théâtre. »

Une situation totalement bloquée ? Silvia comme Gert ne désespèrent pas de voir changer les choses : « J’ai appris il y a quelques jours à la radio qu’on pouvait désormais faire des études universitaires sur le thème de la petite enfance, raconte Silvia. C’est un début qui va peut-être permettre de remettre en cause les préjugés liés aux tout petits. » Gert insiste de son côté sur le choc causé aux allemands par les conclusions du rapport italien exprimant les mauvais résultats de leur pays en terme de niveau d’éducation au regard de l’Europe (rapport étude de Pisa il y a quelques années) : Et Silvia de confirmer : « des débats télévisés ont été organisés. Cette étude a soulevé beaucoup d’interrogations et de discussions. C’est un espoir même si le théâtre ne fait pas partie de ça directement. C’est un premier pas. ».

Des projets pour aider à bousculer les mauvaises habitudes allemandes ? L’organisation d’un festival dédiée à la création pour la petite enfance est à nouveau à l’ordre du jour. A suivre….

Recueilli par Sabine Revert


Un théâtre pour les touts petits (texte lu par Silvia Brendenal lors des Premières Rencontres Européennes)

Mon intérêt pour le « théâtre pour les touts petits » est né de deux événements exceptionnels qui me sont arrivés et que j’aimerais vous raconter.

Le premier a eu lieu durant un spectacle pour les touts petits : nous, c’est à dire les enfants et moi, sommes assis sur des coussins près de la scène. Les lumières s’assombrissent. Des frottements et des craquements se font entendre, une petite musique résonne doucement. Soudain mon cœur se met à battre à toute allure. Qu’est-ce qu’il se passe ? Je crains le pire. Mais la seconde d’après je sais : c’est la peur. Je sens la peur. Toute cette peur qui émane des enfants m’entoure. Je suis émue par l’intensité de ce sentiment.

Immédiatement après, il se passe la chose suivante : l’enfant qui était assis juste devant moi glisse vers l’arrière et se cale entre mes jambes, mes petits voisins de droite et de gauche se blottissent tout contre moi. L’enfant qui était assis derrière moi se serre tout contre mes cheveux. Pendant une heure nous avons regardé le spectacle dans cette position. Je transpire – les enfants sont brûlants- j’ai mal au dos et je déteste être assise sur des coussins, mais quelle importance ???? Ce fut une heure riche d’expériences et de plaisirs.

Le spectacle est terminé. Les enfants se lèvent, ils ne me prêtent aucune attention, en un mot ils me laissent tomber. Ils sortent. Une collègue, qui assistait-elle-aussi à la représentation, s’approche de moi et me dit :

« Que s’est-il passé ? On pensait que vous étiez la mère. »

J’ai répondu : « Oui mais le plus beau c’est que je ne suis pas leur mère. Comme eux je n’étais qu’une simple spectatrice. »

Le deuxième événement a lieu à la Schaubude, le théâtre de marionnettes de Berlin, mon théâtre, durant « Valse Mathilde », un spectacle que j’avais invité dans le cadre du Festival « Sous la table ». En 1999 (dix-neuf cent quatre vingt dix-neuf) j’ai organisé un festival de théâtre pour les touts petits.

Je lui ai donné comme titre celui du spectacle de la Compagnie ACTA « Sous la table » car la richesse interprétative de cette image m’avait plue. C’était un festival pour tous les enfants qui marchent debout sans avoir à se baisser sous les tables et dont les problèmes glissent et s’oublient trop souvent sous la table.

Les enfants entrent dans la salle, les éducateurs les pressent de s’asseoir sur les tapis autour du dispositif scénique principal. Eux-mêmes s’assoient derrière eux, légèrement en dehors. Ce spectacle exige la présence d’un adulte avec lequel les enfants puissent se sentir en confiance ; aussi je m’assois au milieu d’eux. Ils me parlent sans perdre une miette de ce qui se passe sur la pyramide mobile devant eux.

Ils commentent:

« Maintenant les enfants sont devenus grands. » « Maintenant le monsieur épouse la dame. » « Maintenant ils vont avoir un bébé. » Chaque événement est commenté et associé à des événements personnels « Moi aussi j’ai un vélo. » « Mon papa aussi il porte des lunettes. » etc. Et puis ce commentaire d’un enfant qui m’a laissée un instant sans voix : « Maintenant le grand-père est mort. Il va au cimetière. » L’enfant est triste mais très vite une solution heureuse est trouvée : « Non, il va au ciel, là. ». Un endroit où dans la scénographie de Catherine Sombsthay une lumière bleue brillait. Cet enfant de deux ans et demi, trois ans avait parfaitement compris le principe des pyramides d’âge, qui est au centre de ce spectacle, alors que la plupart des adultes quittaient la scène avec cette phrase sur les lèvres : « Je n’ai rien compris ! »

Pour vous qui vous vous occupez de manière intensive de ce théâtre pour les touts petits, ces exemples vous paraîtront certainement lapidaires. Pour moi ces deux événements ont été essentiels : ils m’ont aidée à comprendre deux phénomènes qui me semblent inhérents au théâtre pour les touts petits. En premier la puissance, la force des sentiments exprimés par ces enfants qui ne connaissent pas encore ni la pudeur, ni le refoulement. Ensuite cette connaissance, cette intuition presque archaique des plus jeunes enfants du cycle de la vie et donc de la mort, alors qu’on ne partage ce savoir avec eux que très rarement.

Il me semble que tous les gens de théâtre qui travaillent pour les touts petits – je suppose que c’est la plupart d’entre vous ici- se trouvent projetés dans un monde émotionnel et spirituel qui les oblige à regarder la réalité –et aussi bien sur la réalité du monde du théâtre- avec d’autres yeux. Produire un spectacle pour les touts petits est un cheminement créatif par essence et la représentation est un voyage, une exploration pour les artistes aussi bien que pour les enfants. Ensemble ils s’aventurent à chaque nouvelle représentation sur un terrain presque vierge dont très peu d’éléments sont certains. Les éléments auxquelles je pense : le courage de prendre un risque (des deux côtés), la conscience d’aller ensemble à la découverte, la confiance dans le potentiel créatif des deux parties.

Je pense que la pureté et l’authenticité des émotions que j’ai ressenties chez les enfants devant un spectacle théâtral répond à l’authenticité du jeu de l’artiste, un jeu qui laisse à l’acteur et aux enfants une rencontre, une reconnaissance possibles. Pour moi c’est le moment déterminant de tout travail pour les touts petits.

Celui qui décide de faire du théâtre pour les touts petits, se décide pour une relation entre celui qui fait et celui qui regarde qui n’est pas prévisible. Il se décide pour un chemin théâtral discret, précis, pour des regards étonnés et silencieux, pour un succès qui reste toujours incertain.

Le théâtre pour les touts petits que j’ai vu et aimé jusqu’à présent, je l’ai vu en France et en Italie. Et bien que l’intérêt pour cette forme existe en Allemagne –tout au moins à Berlin- il y a peu de mises en scène, telles que je viens de les décrire, qui s’adressent à ce public particulier. On trouve tout au plus des adaptations de pièces de Frabetti. Mais ces mises en scène ne sont pas différentes pas pour la plupart d’un théâtre pour enfants conventionnel. Par conventionnel j’entends le recours systématique à le relation de dépendance classique entre celui qui fait et celui qui regarde, entre l’acteur et le spectateur.

Dans le théâtre de marionnette, qui passe en Allemagne pour être la forme théâtrale qui convient aux touts petits, on se contente le plus souvent de tendre à l’enfant l’image d’un monde en minuscule, un monde mièvre.

C’est abuser des enfants –dans le sens fort du mot- esthétiquement, spirituellement et émotionnellement. Les adultes et les enfants vivent ensemble dans un seul et même monde, seule leur vision de ce monde est différente. Cette réflexion pourrait être le départ d’un travail passionnant mais il en est trop rarement question dans les travaux que je vois.

Il me semble que cela tient, en Allemagne, aussi aux structures institutionnelles chargées de la petite enfance. Tant qu’il n’existera pas un support institutionnel pour le théâtre pour les touts petits, cette infantilisation et cet appauvrissement ne peuvent que continuer. Or les structures qui accueillent les enfants en bas âge en Allemagne (essentiellement les crèches et jardins d’enfants, l’école maternelle ne prend les enfants qu’à partir de 5 ans) ne sont que des structures d’accueil sans visée éducative ou esthétique. Il manque ainsi aux quelques artistes, qui s’essaient dans ce champ encore en friche du théâtre pour les touts petits, l’humus dans lequel leur travail pourrait fructifier.(fjé)

Mais je n’oublie pas les premières impulsions, les premiers travaux réalisés à Berlin pour les touts petits. La Schaubude soutient les projets de marionnettistes qui veulent travailler pour ce public (par exemple le spectacle « Coccolori » de Giovanna Cotugno) et je sais que Mélanie Florschütz, une marionnettiste berlinoise, qui est ici dans cette salle, se pose une question qu’elle adresse aux touts petits mais aussi aux grands : « Suis-je déjà grand ou suis-je encore petit ? » Son travail sera présenté en mai à la Schaubude.

Silvia Brendenal, Directrice artistique de la SCHAUBUDE

Pour en savoir plus : http://www.schaubude-berlin.de