L’expérience des Premières Rencontres, par Agnès Desfosses

En 12 ans de fonctionnement :

– Quelles sont les motivations qui en ont provoqué la naissance ?
– Comment les politiques ont-ils considéré cet événement se déroulant en Ile-de-France et notamment dans le Val d’Oise ? Y ont-ils pris part et de quelle façon?
– Qu’est ce qui a changé et évolué depuis le début ?
– Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Naissance des PREMIERES RENCONTRES en 2002

A la demande de deux festivals de la banlieue de Paris, j’avais déjà créé 2 spectacles pour la petite enfance (la banlieue est souvent plus innovante que Paris !) : en 1996, « Ah ! Vos rondeurs… » (chant lyrique et danse contemporaine pour les enfants de 6 mois à 3 ans), commande d’Anne-Françoise de Cabanis, créatrice du festival Ricochet à Noisiel et « Sous la table », un entre-sort poétique mêlant comédiens et public dans un même lieu pour les enfants de 1an ½ à 3ans1/2, commande de Jean-Claude Fall pour le festival Enfantillage en Seine Saint Denis en 1998.

Constat :

L’expérience acquise en jouant ces spectacles m’a fait beaucoup réfléchir car elle était chaotique : Nous vivions des représentations parfois sublimes parfois désastreuses…J’étais prête à tout arrêter…
Mais les interprètes de ces 2 pièces voulurent absolument continuer : la capacité de présence, de concentration des enfants même très jeunes, leur rêverie, leur sensibilité extrême les fascinaient et nourrissaient leur propre désir de donner le meilleur d’eux même sur scène.

En même temps, certains adultes travaillant pour la petite enfance avaient peur de la peur des enfants … peur de leurs émotions, surtout s’il s’agissait de larmes … peur que cela ne leur plaise pas …

D’autres étaient complétement désarçonnés par les formes artistiques contemporaines qu’ils ne connaissaient pas… Les mots n’étaient plus l’unique fil conducteur de la narration : tous les langages artistiques étaient invités dans l’espace scénique. De plus, nous, artistes, nous adressions tout autant aux enfants qu’aux adultes…

Des enfants se sentaient partagés entre l’attitude des adultes qu’ils connaissaient bien mais qui se sentaient mal à l’aise avec ces spectacles et l’attirance qu’ils ressentaient pour le spectacle et l’univers de l’artiste qui lui donnait un peu de son monde…

Motivations pour la création des PREMIERES RENCONTRES :

Il a fallu se poser la question de la place des arts vivants dans la vie personnelle des éducateurs et des familles de jeunes enfants ; de la place de l’art dans les formations initiales et continues des éducateurs ; interroger ce qui serait une bonne pratique pour un accompagnement sensible des enfants au spectacle vivant.
Il a fallu aussi réfléchir à la place de l’art dans les familles des enfants venant d’autres pays ; s’interroger sur leurs imaginaires culturels dans un esprit d’ouverture ; à la façon de parler de ces spectacles aux familles AVANT, à comment être petits et grands ensemble des êtres sensibles PENDANT le même spectacle et aux échanges APRÈS LES SPECTACLES. Penser l’avant, pendant, après spectacle est devenu le domaine de la socio-culture.

Nous avons du aussi réfléchir à l’amélioration des conditions techniques d’accueil des spectacles qui étaient loin d’être idéales surtout dans les crèches et aux moyens financiers qui étaient alloués aux compagnies qui créaient pour ce nouveau public. Pas de petits moyens pour de petites personnes !

Les PREMIÈRES RENCONTRES, ce sont des formations/rencontres, des conférences/débats dans chaque ville partenaire, une nouvelle création financée pour partie par le Département du Val d’Oise à chaque Biennale, la circulation de nouvelles créations européennes pendant 3 semaines dans les villes partenaires du Val d’Oise, un Forum de 2 jours à Villiers le Bel, ville de résidence artistique de la compagnie ACTA.

Les années off de Biennale nous ont permis de mettre en place des formations /rencontres, afin que, artistes, personnel de la culture et de la petite enfance, mais aussi les parents de façon transversale, pendant une semaine, apprennent à connaître les compétences de chacun, à se respecter et à travailler dans un esprit de co-construction pour recevoir l’année suivante ensemble les spectacles de la Biennale.

Les villes partenaires du Val d’Oise (plus d’une quinzaine), adhérant à notre démarche (nous avions, dans une charte, stipulé qu’il était nécessaire d’avoir participé à la formation/rencontres et de prendre un minimum de 2 spectacles par ville pour être dans un esprit festival) font profiter leurs publics des créations très récentes venues d’Europe.

La Biennale a invité dès sa première édition lors du Forum les artistes et programmateurs rencontrés grâce aux spectacles que nous jouions dans leurs villes en Europe (Berlin, Lisbonne, Madrid, Salzburg, Hamburg…) afin de les mettre en synergie et en réseau la réflexion et la recherche de ces précurseurs et militants d’un nouveau regard sur l’art et l’enfance en Europe.

Quels soutien des politiques pour les PREMIÈRES RENCONTRES ?

Le soutien moral et financier des politiques a pris de multiples formes et n’a pas cessé d’évoluer en 12 ans. C’est un signe fort de leur part car c’est un soutien à une ouverture de la vie locale à l’Europe ; C’est aussi une façon de considérer que l’art et la culture jouent un rôle primordial dans le développement de l’enfant et de la société.

Financements constants :

– Au moment où ACTA a été subventionnée de façon triennale, depuis 2001, le Ministère de la Culture, le Département du Val d’Oise et la ville de Villiers le Bel ont soutenu ensemble cette manifestation qu’ACTA a proposé. La dimension européenne des PREMIERES RENCONTRES a été déterminante dans leurs choix et renvoie une image valorisante de bon nombre de villes de banlieue dont Villiers-le-Bel.

– Le Forum est soutenu par la Communauté d’agglomération Val de France afin qu’à chaque Biennale, il y ait des publications sur les contenus des PREMIERES RENCONTRES sur Internet (voir le site : www.premieres-rencontres.eu). Val de France subventionne en partie les spectacles diffusés dans les villes de la Communauté pendant le Forum afin que ces spectacles soient la matière à réflexion pour les festivaliers de la Biennale. Sans cela, la circulation des spectacles sur ce territoire ne serait pas possible.

– La Région Ile de France nous a rejoints en 2008 avec un fort soutien.

Financements évolutifs et /ou variables :

– Pendant les deux premières Biennales, la CAF (Caisse d’Allocation Familiale dépendant de Secrétariat à la Famille) a très largement subventionné les spectacles se déroulant dans les crèches ou au plus près des crèches ce qui a impulsé fortement le lancement des PREMIERES RENCONTRES. La CAF ne le fait plus : elle a changé de politique.

– La formation du personnel de l’enfance et de la culture des villes partenaires lors des formation/rencontre dépend des décisions des élus de chaque ville. Pour un grand nombre d’élus nos propositions ne sont pas une priorité. Pour débloquer la situation et que le personnel de ces villes puissent participer aux PREMIERES RENCONTRES, nous avons créé des formations de 2 jours afin qu’elles ne dépendent pas budgétairement des élus mais du budget de leur service (culture et petite enfance).

– Beaucoup de villes estiment que les conférences /débats que nous animons depuis 2008 dans leurs villes sur les arts vivants et sur l’accompagnement des très jeunes spectateurs, ouvertes à un large public, sont un temps de travail payé pour le personnel de l’enfance et de la culture même si elles sont programmées en soirée.

– Des villes ont choisi d’officialiser la présence dans leur programmation culturelle annuelle des spectacles pour la petite enfance par un vote des élus en conseil municipal, ce qui est un signe fort et un changement d’état d’esprit vis à vis du rôle de l’art dans le développement de l’enfant dès sa petite enfance. Encore faut-il que des financements supplémentaires existent !

– Se déroulant dans plusieurs quartiers défavorisés, Acta a cherché lors des premières années de la Biennale, des moyens complémentaires auprès de l’Europe avec un succès très mitigé, leurs objectifs étant uniquement sociaux. La Biennale, tout en étant dans les faits très européenne, n’a jusqu’en 2009 fonctionné quasiment sans financement européen. Ce n’est qu’en 2010 que nous avons obtenu un financement européen ponctuel dans le cadre d’un projet Grundtvig, « apprendre tout au long de sa vie » en développant le projet sur 2 ans : « Parentalité, éducation, art et culture »
avec l’Allemagne, la Finlande, l’Espagne, la France (métropolitaine et d’outre-mer)

Changement et évolution pendant ces 12 années des PREMIÈRES RENCONTRES

Changements :

– Les formations/rencontres ont transformé et enrichi les contacts entre la petite enfance et la culture. Culture et petite enfance de chaque ville, la plupart du temps choisissent ensemble les spectacles.

– Les conditions d’accueil des spectacles sont maintenant menées conjointement entre culture et petite enfance.

– L’accompagnement des enfants au spectacle se fait dans le respect des émotions, de la sensibilité et des centres d’intérêt de chacun avec à chaque fois moins de stress et plus de plaisir !

– La Biennale a procuré des moyens supplémentaires pour que des spectacles de qualité et toutes sortes de formes artistiques et esthétiques parviennent aux enfants.

– L’exigence d’une grande qualité artistique est désirée par tous, c’est à dire : Pas de spectacles mièvres et sans contenu pour les petites personnes !

– La Biennale a favorisé la rencontre avec des oeuvres d’artistes qui partagent quelque chose de leur univers sensible, de leurs questionnements, qui ont quelque chose à dire et qui surprennent tout en respectant l’extrême sensibilité des enfants.

– Les compagnies créant pour la petite enfance sont maintenant connues et les réseaux d’information fonctionnent. Les spectacles créés à l’étranger attisent la curiosité de chacun, ce qui était peu le cas dans les 2 premières Biennales.

– La réflexion partagée lors des rencontres contribue à changer le regard porté sur l’enfant : il est reconnu comme public à part entière. L’art et la culture participent à sa croissance.

– Le Forum favorise la circulation de la pensée.

Evolutions :

Le soutien à la création

  • – Des théâtres ne se contentent plus de recevoir des spectacles déjà créés mais proposent des temps de résidence aux équipes artistiques, des rencontres et des répétitions publiques pendant les temps de création.
  • – Les programmations de spectacles pour la petite enfance dans les villes partenaires ne se font plus uniquement sur la durée de la Biennale c’est-à dire tous les deux ans mais de façon annuelle.
  • – Des crèches qui ont accepté de recevoir des artistes voulant créer en contact direct avec les enfants, sont aujourd’hui demandeuses étant donné l’intérêt qu’elles y ont trouvé pour elle-même et pour les enfants. La connaissance des métiers des uns avec l’art de l’autre ne cesse de s’ouvrir entre artiste et personnel de l’enfance.

Des ateliers artistiques

  • – des artistes français et étrangers invités à la Biennale proposent des ateliers artistiques : de plus en plus les villes s’en saisissent pour faire en sorte qu’autour d’une oeuvre, personnel de l’enfance et étudiants se destinant aux métiers de la petite enfance puissent travailler ensemble de façon sensible et imaginative.
  • – Prendre en compte les parents dans cette dynamique dont les éducateurs et les enfants ont profité jusqu’alors devient une priorité : des ateliers ouverts aux parents, artistes, enfants et personnel de l’enfance ont commencé à exister notamment grâce au projet européen GRUNDTVIG et seront mis en place lors des Formations et de la Biennale 2014

Transmission

Après m’être consacrée à la création artistique depuis plus de 20 ans, pour la petite enfance mais aussi pour tous les publics à ACTA, 2014 est une année de TRANSMISSION.
Dans ce but nous réalisons nos « outils » de transmission avec :

– Un film sur les 12 ans des PREMIÈRES RENCONTRES afin de rendre compte de la créativité très novatrice des artistes, de leurs spectacles et de la diversité des esthétiques de ceux-ci ; de mettre en valeur ce qui a évolué et évolue encore grâce aux partenariats entre artistes, parents, personnel de l’enfance et de la culture.

– Une exposition scénographiée : ENFANCES CHERCHEURS D’OR « Regards et paroles croisées autour de la petite enfance dans cinq villes d’Europe », pour mettre en valeur la créativité des tres jeunes enfants.

Dès 2014, ACTA et les PREMIÈRES RENCONTRES seront dirigés artistiquement uniquement par Laurent Dupont, pendant que je me consacrerai de façon plus personnelle à l’écriture et à la photographie.

Agnès Desfosses
co-directrice artistique avec Laurent Dupont
des PREMIÈRES RENCONTRES organisées par la compagnie ACTA avec 16 villes du Val d’Oise