Bilan, par Agnès Desfosses

La deuxième édition des Premières rencontres vient de s’achever. Agnès Desfosses, de la compagnie Acta, qui en est à l’origine, nous fait partager ses impressions : bilan, évolution, perspectives… Le regard d’une femme qui possède l’art délicat de créer du lien – de mettre en contact des gens comme elle met en scène des spectacles.

Quel bilan feriez-vous des Premières rencontres 2006, et en particulier des deux jours du Forum européen ?

Je dirais qu’on a eu… de vraies rencontres ! On avait organisé ce forum justement dans le but de créer des liens : dans un même lieu, les gens passaient tous ensemble de l’apéritif à une conférence-discussion, puis à un déjeuner (on avait même tenu à former de grandes tablées, pour favoriser les échanges). Comme il s’agit de rencontres européennes, les participants venaient de tous les horizons : Italie, Norvège, Allemagne et Hollande, tout cela réuni dans un même endroit comme si les distances étaient abolies. Ce qui permet d’espérer un début de réseau et de réflexion sur « l’art d’accommoder les bébés », entre des familles de pensées différentes – puisque selon les cultures, on crée des spectacles colorés, festifs ou poétiques. Il me semble d’ailleurs important de prendre le temps de mieux comprendre les différences culturelles qu’il peut y avoir d’un pays à l’autre, parce que pour l’instant, cela donne lieu à des querelles entre artistes.
Dans ces Rencontres, on a pris soin qu’il y ait des créateurs, des programmateurs, des gens de la Petite Enfance, des politiques, des chercheurs. Cela permet de rappeler des choses qui ne sont pas forcément connues, comme la collaboration d’artistes européens sans l’aide d’aucune institution : on rend ainsi visibles des démarches très importantes.

Et si vous deviez dresser un bilan politique ?

J’avais un petit rire intérieur de bonheur, à l’idée que notre banlieue nord, à qui on a collé une réputation pas fameuse, ait pu accueillir ces rencontres européennes. Et que Villiers-le-Bel, qu’on a déclaré l’une des communes les plus pauvres de France, puisse montrer sa grande richesse – celle de l’accueil et de l’initiative. Mais sans volonté politique, ce type d’action ne peut exister.
Lors de la première édition, on se réjouissait de voir que des théâtres ou des conseils municipaux décidaient de programmer une représentation par an pour la Petite Enfance. Désormais, les élus prennent des décisions pour leur propre ville autour de cette question : ils se sont rendus compte que les enfants même très petits sont des spectateurs comme les autres.
Pour la troisième édition, je crois qu’une grosse réflexion s’impose au sujet du public : toutes les représentations étaient complètes cette année. Peut-être faudrait-il répartir la programmation des spectacles dans l’année, afin qu’elle ne soit pas circonscrite au temps du festival. En tout cas, je crois que les gens se sont approprié cette manifestation ; pas seulement les parents mais les assistantes maternelles ; et pas seulement celles qui travaillent dans un cadre municipal, mais celles qui sont indépendantes. On s’est aperçu aussi de la diversité des publics : certains spectateurs vont de ville en ville. Les habitants de Sarcelles, qui n’avait pas pu accueillir de spectacles, se sont déplacés dans la commune voisine. La curiosité a dépassé le cadre de la proximité.

Les Premières rencontres ont-elles évolué depuis leur première édition ?

A l’époque, on était dans l’initiative ; on balbutiait un début d’existence.
A présent, on est passé d’une initiative à la reconnaissance d’une identité. Il y aussi le fait qu’on a pu donner lieu, pour ces deuxièmes Premières rencontres, à une création, celle de Skappa ! Je tiens à ce qu’il y en ait une nouvelle lors de la troisième édition. On souhaite aussi, pour la suite, épanouir les partenariats avec les théâtres, et développer la formation : on essaie de trouver les moyens qui permettront aux enseignants de l’Education nationale d’en bénéficier, sous forme d’ateliers de pratique artistique.
Mais quelle que soit l’évolution, je crois que l’état d’esprit est resté le même : la recherche de simplicité. Que tout le monde puisse rencontrer l’autre, qu’il soit artiste, programmateur, assistante maternelle… C’est aussi l’esprit de notre formation : on la veut non-hiérarchique et décloisonnée. Quand les gens arrivent au forum, j’ai envie qu’ils se sentent comme des invités. Et de même pour les spectateurs lorsqu’ils arrivent au spectacle. C’est pour cela que, pendant le forum européen, il n’y a pas un bus qui emmènent les participants : on suggère aux gens de pratiquer le covoiturage, pour qu’ils aient de nouvelles occasions de se parler, cela fait partie de la démarche. C’est tout simple mais c’est très important.

Ces Premières Rencontres ressemblent-elles à celles que vous aviez imaginées, quand vous avez eu l’idée d’un festival consacré à la Petite Enfance ?

Mais je n’ai rien imaginé ! Bien sûr, au départ, il y a l’idée, le désir, le projet. Et ensuite on regarde ce qui se passe, parce que cela nous échappe : les Rencontres sont le fruit d’un partenariat avec les acteurs de la Petite Enfance, les théâtres, les politiques, les parents, et bien sûr, les enfants. Quand on lance une telle action, on se met en état de dépendance aux autres : c’est vraiment une rencontre. C’est un peu comme faire un enfant, ou créer un spectacle – il y a toujours une part d’inconnu. En tout cas ce projet correspondait à une attente : il a été bienvenu, chacun se l’est approprié. L’important à présent, c’est de maintenir le cap du navire, de garder l’état d’esprit : pour que voir un spectacle ne soit pas une activité de plus que l’on consomme, mais l’occasion d’un dialogue entre parents et enfants. Ce qui est en devenir dans chaque être humain dépend de la nourriture qu’on lui donne.

Propos recueillis par Orianne Charpentier