Les festivals dédiés à la Petite enfance se créent, se développent, se multiplient en Europe. Pour mémoire, « Ricochets », première biennale des arts pour les enfants de 0 à 6 ans, fut initiée en 1992 par Anne-Françoise Cabanis à La Ferme du Buisson dirigée par Fabien Janelle. Depuis plus de 10 ans, ils essaiment aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie, en Autriche, en France et en Allemagne. Cette liste est non exhaustive. Il est difficile de les dénombrer, le phénomène est encore récent, en marge, non référencé dans un catalogue culturel officiel européen. Ils sont d’envergure différente, nomade ou accueilli en résidence, concentré sur quelques jours ou inscrit dans une programmation de longue durée. Le plus ambitieux et le plus inédit est actuellement en gestation : le « Theater von Anfang an ! », premier festival national du théâtre pour les tout-petits en Allemagne. Il se fêtera du 6 au 9 novembre 2008 à Dresde et sera l’aboutissement d’un vaste projet mené pendant deux années, dans quatre villes d’Allemagne, avec artistes, chercheurs et éducateurs
- Comment expliquer ce phénomène de créations de festivals en Europe ?
- Tour d’horizon de quelques festivals européens.
- Comment modifient-ils les liens entre la culture, l’art et la petite enfance ?
-une nouvelle relation à l’enfant- Point de vue d’artiste, de programmateur et de penseur.
-La formation du personnel des crèches : le lieu où l’on apprend à oser
-Engagement nécessaire des collectivités locales pour tisser des liens entre art et cité.
Sont présents :
Agnès Desfosses, metteur en scène, directrice d’ACTA et de la Biennale « Premières rencontres », Brigitte Chaffaut, conseillère à l’ONDA, Gabi dan Droste, chef de projet d’un nouveau festival allemand, Ingrid Woff, 2+ Productions-Amsterdam (Pays-Bas), Myrto Dimitriadou, Tolhaus Theater em Mirabeliplatz-Salzbourg (Autriche), Marylène Gravier, responsable Service de la Petite Enfance à Villiers-le-Bel, Carlos Laredo, directeur artistique de la Cie La Casa Incierta (Espagne), Michaël Lurse-Cie Helios Theater (Allemagne), Christine Attali-Marot –Association Enfance et Musique
1. Comment expliquer ce phénomène de créations de festivals en Europe ?
Agnès Desfosses : « C’est une conjonction de plusieurs éléments. Depuis une quinzaine d’années, les spectacles dédiés à la petite enfance circulent en Europe, les artistes sont de plus en plus fréquemment invités à participer à des forums de réflexion ; les crèches, écoles maternelles ou jardins d’enfants désirent s’ouvrir sur l’extérieur et participer à des actions culturelles novatrices. Un vaste réseau de personnes, parents, chercheurs, enfants, éducateurs, politiques se mobilise pour que les tout-petits puissent bénéficier d’un éveil artistique et culturel nécessaire. Les festivals sont les lieux de rencontre et d’échange où chacun vient puiser un nouvel élan, de nouvelles forces pour construire et renouveler un champ artistique et éducatif dédié à la petite enfance. Nous formons aujourd’hui une même famille, tant à un niveau local qu’à un niveau international. Il est fondamental de croiser nos expériences, non pour élaborer des modèles mais pour au contraire stimuler notre créativité.
Ce domaine s’inscrit dans une éternelle recherche qui nécessite un processus de relations et de dialogue.
Ensemble, nous tentons de poser ce qui nous occupe et de mettre en perspective nos points de vue et nos problématiques. Au sein des festivals, naissent de nouveaux projets inscrits dans une dynamique militante ferme, qui défend des valeurs culturelles et éthiques profondément ancrées.
Notre travail soulève les mêmes questions récurrentes:
Comment obtenir le soutien de la municipalité, de la région, de l’état ?
Comment former le personnel des crèches à un accompagnement artistique et sensible?
Comment rendre accessible les créations contemporaines pour les tout-petits à un public qui ne fréquente pas forcément les théâtres ?
Comment satisfaire le besoin d’éveil artistique et culturel des bébés ? Comment lui donner envie d’aller voir ailleurs ? Comment explorer, au mieux, le lieu de rencontre entre son univers et celui de l’adulte, espace que Brigitte Lallier-Maisonneuve nomme « résonance ».
2. Tour d’horizon de quelques festivals en Europe
Autriche :
Myrto Dimitriadou, chorégraphe et metteur en scène autrichien.
« Salzbourg est une petite ville où la vie culturelle est faible en dehors de Mozart et de l’Opéra. Il n’y avait rien pour la petite enfance, malgré une forte demande du public dans la région de Salzbourg. Les structures d’accueil sont petites, éparpillées dans des villages reculés. Pour résoudre ces problèmes d’éloignement et de vide culturel, l’an passé, avec 11 co-organisateurs, nous avons créé un festival itinérant, « Les semaines de théâtre pour tout-petits ». Nous sommes allés, comme des ambassadeurs, à la rencontre du public, avec une programmation de 7 spectacles européens. »
Pays-Bas :
Ingrid Woff, conseillère festival aux Pays-Bas. Festival Almere du 4 au 8 février 2009.
10 ème édition bientôt.
« Notre motivation est de stimuler la création artistique, de favoriser la participation de nouveaux artistes étrangers à la petite enfance,
Il n’est pas possible d’exclure la petite enfance de la vie culturelle
Dans les musées, ils sont refusés, ils n’entrent à l’école qu’à 4 ans, il y a encore beaucoup à faire. Les enfants ouvrent le monde des adultes, ils le régulent. »
Allemagne :
Gabi dan Droste– chef de projet d’un festival inédit « Theater von Anfang an ! » du 6 au 9 novembre 2009 à Dresde.
« Ce festival obéit à une grande nécessité d’ouvrir les tout-petits au monde de l’art, en Allemagne. (voir entretien avec Gabi dan Droste). Il sera le fruit de deux années de rencontres entre artistes, chercheurs et éducateurs. Il s’écrit progressivement avec la participation de quatre villes partenaires, qui réunissent des équipes différentes. En toute liberté, sans grande pression, en plus des quatre projets artistiques soumis par chacune des villes, quatre autres productions artistiques allemandes, sélectionnées sur appel d’offre, seront présentées en novembre à Dresde. »
Michaël Lurse-Cie Helios Theater. Festival “First step”-Prochaine édition en juin 2010.
« La 1ère édition a eu lieu en 2002 à Hamm, ce festival européen, co-organisé avec 7 villes, était un évènement totalement inédit en Allemagne. Nous préparons aujourd’hui notre 5ème édition. L’expérience est concluante, elle a déclenché un amour pour ce genre de théâtre, a permis la découverte de gens très créatifs et a conquis le public par ses formes contemporaines novatrices. Il n’y avait en Allemagne en 2005 que deux compagnies qui travaillaient pour la petite enfance. Comme un effet de poudre, le festival génère de nouveaux désirs, des artistes, étrangers à la petite enfance, s’intéressent aujourd’hui à ce domaine artistique.
Espagne :
Carlos Laredo—directeur de « Casa incierta , »metteur en scène, programmateur du festival à Madrid-« Rompiendo la cascara » – 4ème édition- de février à juin 2009
« Petit au départ, quasi familial, aujourd’hui, face à une demande plus en plus forte, le festival est accueilli dans une petite salle du centre culturel Nova Villa, situé en plein cœur de Madrid.
C’est ma compagnie qui est en résidence pendant 5 mois de février à juin qui organise le festival, ouvert à plusieurs formes : un éventail de spectacles internationaux, des ateliers pour artistes et éducateurs, des rencontres entre le monde de l’éducation et de la santé, et un centre de diffusion et de recherche avec un centre ressources. C’est un succès !
Le théâtre pour les tout-petits fait désormais partie du quotidien, les enfants ont changé l’état d’esprit des adultes.
Après la présentation des festivals, après l’engouement partagé autour de ces moments de rencontres, quelles sont les conséquences ?
3.Les festivals modifient-ils les liens entre la culture, l’art et la petite enfance ?
Une nouvelle relation au monde et à l’enfant
Point de vue de Carlos Laredo-metteur en scène de « La géométrie des rêves »-Cie Casa Incierta
Carlos Laredo témoigne de la transformation des relations qui s’est opéré entre artistes, personnel du théâtre et bébés, grâce à son festival à Madrid. « Les enfants ont introduit dans les murs du théâtre, de la tendresse, un nouveau rapport au monde. Le théâtre pour les tout-petits est ressenti comme un cadeau, qui guérit les blessures du passé et réconcilie avec le présent. Le regard que porte les adultes sur les enfants change. Toutes ces petites modifications rebondissent par ricochets depuis la création de notre festival, il y a 4 ans. Il y a un élan, un désir qui se prolonge hors des murs du théâtre. »
Le petit enfant, vecteur de la culture, déclenche, chez l’adulte, un désir de s’ouvrir à l’art
Le théâtre pour les tout-petits participe à l’enrichissement de l’adulte..
Point de vue de Christine Attali-Marot –Association « Enfance et Musique »
« Qu’est-ce que les spectacles nous apprennent sur notre rapport au monde ? Il ne s’agit pas d’éveil, mais de réveil des adultes. On ne devrait même pas se poser la question . Il y a urgence à se remettre en marche, à sortir du carcan de l’uniformisation de la pensée pour aller à la rencontre de la diversité des formes artistiques. »
Point de vue de Michaël Lurse (Cie Helios Theater-Hamm)
« Il nous est arrivé quelque chose de très intéressant, les éducateurs ont demandé à être formés à un accompagnement artistique, rien ne leur avait été proposé. Certains d’entre eux viennent pour la première fois au théâtre, ils se sentent déboussolés face aux formes contemporaines qui sont proposées, incapables d’être des relais pertinents et sensibles auprès des enfants. Tout reste à faire, on y travaille. »
La formation, le lieu où l’on apprend à oser
A Villiers-le-Bel, depuis 2003, une partie du personnel des crèches bénéficie d’une formation qui a bouleversé son rapport à l’art.
Point de vue de Marylène Gravier-Responsable Petite Enfance à Villiers le Bel
« En 2003, je suis sollicitée pour les préparations à l’accompagnement. Je trouve l’idée sympa, mais je suis inquiète, vais-je être à la hauteur, qu’est-ce qu’on attend de moi ?
Un maillage entre artistes et personnel de la petite enfance se crée, je découvre le chant, la lumière, le décor, le jeu. On nous a fait appel à notre mémoire et à notre imagination pour retrouver de vieilles comptines. Ensemble, nous avons créé un CD « 7 pierres qui roulent ramassent l’amour »
En 2004, pour la 1ère édition des « Premières rencontres », quand j’accompagne les petits au spectacle, c’est un choc, une découverte qui m’a ouvert l’appétit, les enfants sont réceptifs, tout le monde prend du plaisir. La formation a valorisé mon travail et m’a enrichi personnellement.
L’enfant est un vecteur de la culture. A travers lui, le personnel s’ouvre à un domaine qui l’inhibait. Il est aujourd’hui plus réceptif, plus critique, il cherche le sens, le pourquoi, il a envie de transmettre. Nous acquérons un langage commun avec les enfants, qui nous permet de ne plus être étranger les uns aux autres. »
« Aujourd’hui, en crèche, j’ose proposer aux enfants des jeux que je n’aurais jamais imaginés. J’apporte un petit grain de folie dans un temps très structuré.» a ajouté Florence Lalau, animatrice en crèche familiale à Fosses.
L’engagement nécessaire des collectivités locales
Agnès Desfosses souligne que les formations nécessitent une volonté politique pour qu’elles deviennent pérennes.
« Actuellement, à un niveau national, les directives ne sont pas favorables et privilégient le mode de garde au mode d’accueil, au détriment des actions culturelles innovantes. Mais grâce à la décentralisation, les villes et les régions partenaires sont en train de considérer différemment le domaine de la petite enfance. La ville de Villiers-le-Bel est très attentive à tout ce qui été mis sur pied : les formations, les rencontres, les créations.
Cette année, deux réunions d’informations et de réflexions sur les spectacles présentés aux PREMIERES RENCONTRES 2008 et sur l’accompagnement du tout petit au spectacle vivant se sont tenu en soirées pour les assistantes maternelles : ces temps, considérés comme des temps de travail, ont été rémunérés.
Rien n’est jamais acquis, mais une mobilisation est amorcée.»
ACTA est ambassadeur d’une petite bulle locale, où la formation du personnel de crèche formé suscite un véritable engouement, il faut se renouveler sans cesse pour maintenir l’étincelle. »
« Les formations relèvent de la responsabilité des collectivités, qui restent encore trop absentes de ce débat là », complète Stéphane Leca, programmateur du théâtre de Chartres, « il est de notre devoir d’être passeur, il ne faut pas avoir de scrupules à former, c’est une nécessité d’acquérir un minimum de connaissances, par le biais de la psychologue, de l’ethnologue ou de l’artiste. »
Contenu des formations : une sensibilisation pas un façonnage
Agnès Desfosses : « L’adulte, dans la formation, apprend à se mettre en risque à travers des jeux théâtraux. Il prend confiance, il s’aventure hors des chemins habituels. Il ouvre également son champ de connaissances, sort de l’ignorance, s’ouvre à la multiplicité des cultures des enfants. »
A consulter
« Les cahiers de l’éveil n°1 »-Ed Enfance et Musique
Revue « Enfant d’Europe »-Octobre n°13 : « La formation des éducateurs de jeunes enfants, une formation qui respecte le concept de la diversité » par Myriam Mony.
La revue Initiative n° 3, éd. Enfance et Musique