Rencontre avec Carlos Laredo, directeur du Festival Teatralia de Madrid

Carlos Laredo dirige l’un des plus importants festivals jeune public d’Espagne : Teatralia (Festival de Artes Escénicas para Niños y Jóvenes). Ce festival existe depuis 8 ans et propose aux enfants de 0-12 ans, 320 représentations qui se déroulent dans une soixantaine de théâtres de la région de Madrid… Cirque, théâtre, danse, musique, contes, marionnettes, parcours sensoriels et expositions…Les spectacles viennent du monde entier : France, Italie, Russie, Amérique du Nord et du Sud, Asie…Les adolescent cette année ont même eu droit à un Othello en russe qui durait 3 h !!! Un spectacle très applaudi…

Pouvez-vous nous décrire l’état de la création pour la petite enfance en Espagne ?

En Espagne, le Festival Teatralia a fait figure de pionnier en invitant des spectacles pour la petite enfance. Les spectacles viennent surtout de France avec le travail de compagnies comme ACTA, FA7 ou Skappa, et d’Italie…Dans notre pays, les productions pour la petite enfance sont rares …2 à 3 par an… Il y a eu une évolution vraiment lente durant ces dix dernières années car notre pays souffre d’un grand retard dû à la dictature de Franco…
Aujourd’hui, on constate une forte demande de la part des professionnels de la petite enfance…mais la plupart des programmateurs ne sont pas assez à l’écoute …

Directeur de Teatralia, vous êtes aussi metteur en scène…

Oui, j’ai monté mon propre spectacle : Pupila de Agua (les yeux de l’eau) qui s’adresse à des enfants de 6 mois à 3 ans. Il s’agit d’un parcours sensoriel où se mêle théâtre et musique, d’une durée de 30 min. C’est ma fille de un an et demi qui m’a inspirée ce spectacle quand elle n’avait encore que 8 mois … Le projet a pris progressivement forme à partir de recherches réalisées dans les crèches de Madrid et Grenade, puis dans une école d’intégration éducative (une école qui mélange les enfants handicapés et non handicapés). Entrer dans l’espace de la petite enfance force un élan singulier de créativité car il faut travailler à partir de l’espace blanc, du rien, de l’invention du langage, de l’équilibre instable…

Quels sont vos attentes en venant au festival organisé par ACTA ?

J’aime bien le mot rencontre…et le fait que ce soit organisé par une compagnie comme Acta…Cela exprime l’importance de la dimension humaine qui est à l’origine de toute activité… Ce festival a un énorme intérêt pour moi car depuis la disparition de Ricochets (festival organisé par Anne Françoise Cabanis), il n’y a plus aucun évènement qui regroupe autant de créations de qualité pour la petite enfance… (Il ne reste que des lieux inappropriés comme le festival d’Avignon…)
Ces occasions de rencontres ont un rôle décisif à jouer dans l’ouverture du public à ces formes méconnues de créations.

Qu’est-ce qui vous touche si fortement pendant ce type de spectacle ?

Je n’oublierai jamais l’une de mes premières expériences avec le spectacle pour la petite enfance. J’avais invité un musicien contemporain (Pedre Estevan)qui n’avait jamais joué devant des enfants…
Il devait jouer au sein d’un dispositif scénique où pour l’écouter, les enfants étaient tous installés dans des sortes de nacelles qui se balançaient autour de lui et de ses instruments. Ce musicien a éprouvé l’une de ses plus grandes émotions d’artiste car il n’avait jamais ressenti une qualité d’écoute aussi exceptionnelle. L’expérience a prouvé qu’on pouvait proposer des formes artistiques élaborées qui ne s’adressent pas à priori au tout petit … (voir illustration plus bas)
Je ne peux concevoir qu’on ne propose pas des créations artistiques à un être qui entre 0 et 3 ans est au stade du plein développement intellectuel, accomplit l’apprentissage de la marche, du langage, de la vie en communauté…Il est au cœur même du mouvement, du secret de la vie… Comment dans ces conditions ignorer l’art ?

Recueillli par My linh Bui

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